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Mr Valiquette,
Professeur de
français de Vadim,
Messe de Montréal
À la fin du mois d'août 2001-2002, en entrant dans
le local A.345 pour la 1re fois de la nouvelle année scolaire qui s'amorçait,
mes nouveaux élèves étaient là, chacun assis à une place qu'il s'était choisie.
Je balayai du regard toutes ces jeunes personnes que je rencontrerais cinq fois
par semaine pendant une dizaine de mois. Et là, je reconnus un jeune homme que
je ne connaissais pourtant pas; il était assis bien droit. Tiens, me dis-je, une
colonne vertébrale, rare phénomène chez les jeunes gens si tant tellement
toujours fatigués, surtout après deux mois de vacances! Tout à coup, je me
retrouvai dans la grande salle où se tient chaque année la soirée du concours
littéraire organisé par l'Association des parents. C'est là que je l'avais vu
pendant pratiquement quatre années monter sur la scène quérir tantôt le premier
prix tantôt le deuxième, ce qui n'était pas une mauvaise nouvelle pour un
professeur de français, puis revenir à sa place, accueilli par une famille
jeune, tissée serrée, enveloppante et, ma foi, merveilleusement nombreuse. Ce
sont les premières images que j'aurai eues de Vadim. Tout au long de cette
année-là, Vadim sera un élève attentif, discret et lumineux à la fois.
Concentré, l'oeil avide, tantôt discrètement rieur, tantôt intensément réfléchi,
jamais au loin, jamais dans le vague. Dans les textes que je lirai de Vadim, je
rencontrerai des réflexions sérieuses portées par ses personnages et ses
histoires sur la beauté des traits aussi lourde à porter par moments que la
disgrâce de ceux d'un Quasimodo, sur la pureté de l'enfant, sur des destins
bousculés par des hasards tantôt heureux tantôt cruels, sur les jeunes amours
rarement simples, sur les grandes souffrances de certaines vies, toujours dans
une langue fluide, juste, une langue qui savait se tenir bien droite, qui avait
du coffre. Vadim savait voir, savait regarder, cherchait à comprendre la
difficile et incompréhensible gratuité de certaines méchancetés. Il aimait ses
personnages même les moins aimables; il savait compatir avec eux sans pour
autant excuser l'inexcusable. Au Vadim de l'écriture s'ajoutera celui du jeu
théâtral, de la joie, du bonheur à partager. Je le revois un certain 14 février
passer, avec quelques confrères, de classe en classe, sa guitare dans les bras,
et chanter quelques chansons d'amour les yeux pleins de rire, pleins de fêtes,
plein de complicité, dans un costume surréaliste. C'est qu'il aimait faire
plaisir, contribuer au bonheur des autres. Et le fameux Chapeau de paille
d'Italie où son talent protéiforme d'artiste éclatera au grand jour. Il
chantera, dansera, dira, glissera sur la scène avec l'élégance qui sera toujours
sienne. Une élégance du corps mariée à l'élégance du cœur, à l'élégance de
l'esprit. J'aurai aussi la chance, grâce à son père Jean-Paul, de passer une
journée sur le plateau de tournage où Vadim jouait. Je l'observai faire son
travail d'acteur; je le vis répéter son texte à l'écart avec une des scénaristes
de la série; j'ai vu là la complicité entre Vadim et cette dame, entre Vadim et
les autres acteurs; entre Vadim et le réalisateur, entre Vadim et le responsable
du son qui lui installait un micro dans les cheveux; j'ai vu sa chaleur, j'ai
touché un peu à son grand bonheur d'être là. Ce vendredi-là, les acteurs et les
actrices offraient le champagne à l'équipe à la fin de la journée, une tradition
de 100e bobine à ce que j'ai cru comprendre. Et Vadim était heureux : on était
heureux autour de lui. Ce lumineux jeune homme vous accueillait dans sa lumière,
vous recevait dans sa joie qui devenait alors aussi la vôtre. Il aimait
passionnément la vie, malgré les sombres grimaces de celle-ci par moments; il
tentait d'en comprendre les ressorts les moins compréhensibles comme celui qui
nous rassemble aujourd'hui. Et ce que je veux retenir de Vadim, c'est qu'il aura
su habiter avec passion le peu de temps que la vie lui aura accordé. La vie de
Vadim aura été courte, un éclair, mais elle aura aussi été pleinement remplie.
Il aura eu le temps de vivre quelques-uns de ses plus grands rêves. Il aura été
formidablement aimé par ses parents, par ses frères, par ses amis, par ceux qui
l'auront côtoyé. Ce grand jeune homme aussi discret qu'éclatant aura ajouté à
nos vies, à ma vie. Au revoir, Vadim.
(Montréal, 12 septembre 2003)
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