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        La Revanche 
          
        On était dans un jardin. Assis sur une table de bois, 
        des cartes à la main. On jouait. Trois jeunes gens, bien innocents, qui 
        jouent aux cartes sur une table dans un jardin. Un garçon passe. Je le 
        vois mes amis le voient. La suite était alors écrite. Plus de surprises.
        
       
        C'était un garçon brillant. Trop, même, pour beaucoup de gens. Ses vertus 
    faisaient naître haine et jalousie : " II triche probablement! ", ou " II 
    paraîtrait qu'il triche! ", ou encore " II triche, il triche on me l'a 
    affirmé! ". Les rumeurs salissantes couraient à cœur joie. Le plus brillant 
    d'entre nous ne joue-t-il pas le rôle le plus misérable? C'est là le regard 
    de toutes ces personnes pour qui une popularité inconsistante et fabriquée, 
    vaudra toujours mieux que le risque d'affirmer son originalité et de se 
    consacrer à ce qu'ils désirent au plus profond d'eux-mêmes. Il est tellement 
    plus facile de se complaire dans la bêtise. Bien caché, au chaud, sous 
    toutes ces apparences, sous ce conformisme frileux peureux, lâche. 
     Il s'adressait aux gens en souriant. Sa douceur et sa gentillesse faisaient 
    de lui une proie facile. Ils étaient trop jaloux pour le respecter. Il est 
    vrai qu'à défaut d'inspirer le respect, on peut imposer la crainte. Mais il 
    était trop pacifiste pour cela, et à ce titre passait pour un faible aux 
    yeux des sots. Quelle meilleure raison que celle-ci pour le mépriser? Il se 
    fait provoquer, on l'agresse, et il se tait. Il encaisse. Sans rien dire. Et 
    parfois, il pleure. Il ne se cache pas les yeux. Il n'a pas de honte. Il 
    pleure. Debout, face à ses agresseurs. Il les affronte. Alors, ce sont eux 
    qui sont couverts de honte. Honte qu'ils retournent, de plus belle, contre 
    le garçon. Sous forme de colère et d'insultes. Ils déversent sur lui leur 
    mépris et leurs sarcasmes cuisants, ce qui les rassure dans un sentiment de 
    joie sordide. Il était ce qu'on pourrait appeler une victime de la 
    perfection. Il était d'une beauté... choquante. On se sentait mal à l'aise 
    face à lui. Il était beau et ils étaient laids. Il était passionné et ils 
    étaient bêtes. Il était intègre, tandis qu'eux cultivaient la lâcheté. Il 
    faisait douter les gens d'eux-mêmes, et ils le détestaient pour ça. 
       
        Cette perfection, cette beauté extérieure et intérieure, mes amis voulurent 
l'anéantir, pour de bon. Condamné, sans appel, sans droit de la défense. Ainsi 
va la nature. Ils commencèrent à le frapper. Coups de poings, coups de pieds. 
Dans les dents, dans le dos, dans le ventre! Colère, jalousie, envie de cogner, 
de détruire, de tuer! Violence! Violence! Violence! Violence! De façon à tout 
effacer. Son beau visage. Sa dignité. Une couverture de roses, rouge sang, 
recouvrit peu à peu son corps. Ils continuèrent à frapper. Mais même à terre, 
baignant dans son sang, il restait supérieur. C'était en lui. C'était comme ça. 
" II persiste? Il ne veut pas reconnaître son infériorité? Infériorité si 
flagrante! Qu'on lui montre! " Poings! Pieds! Genoux! Tête! Sans jamais 
s'arrêter. Sans jamais personne pour les arrêter. 
     Quant à moi, je n'ai pas bougé. En silence, j'ai regardé un jeune homme se 
    faire massacrer. Comme tout le monde dans le jardin, de peur d'être mal vu, 
    j'ai regardé. 
      Vadim Schneider, 
    (2001, 4ème secondaire)  |